Quand le Marketing s’invite en politique 🗳️
Les nouveaux rouages de l'influence et de la manipulation digitale
🎧 On ne se lasse pas de The Blaze. Partagé par Inès 💙
Hello tout le monde !
Cette édition vous est envoyée depuis Morzine dans les Alpes, où je teste le coliving montagnard avec les copains de Paatch. ⛰️
Au programme cette semaine, on s’attaque au sujet du marketing en politique, et je vous propose de (re)découvrir l’interview d’Alexandre, qui m’a expliqué dans le podcast la semaine dernière comment ses créations lui permettent de véhiculer ses opinions & engagements, tout en construisant un dialogue avec son audience sur Instagram.
Bonne lecture !
Noémie
L’annonce de la semaine
Ça fait quand même un an que The Storyline existe, et j’ai moult fois hésité à créer des contenus sur Instagram. C’est désormais chose faite ! Je compte y développer des formats exclusifs, notamment des guides et des extraits audio best of du podcast (et des blagues nulles, ma petite touche perso) 👉 filez suivre le compte pour ne pas les louper !
Brain Food
🗞️ Substack veut écrire le futur du journalisme local. Substack envisage de débloquer des financements pour inciter les journalistes à couvrir des actualités locales aux US. Solution innovante pour l’avenir du journalisme ou coup de grâce pour les publications traditionnelles ?
🔽 Micro > macro. Encore une étude qui affirme que les micro influenceurs ont de meilleurs taux d’engagement que ceux bénéficiant de larges audiences. Et plus la communauté est petite, plus l’engagement est élevé ! Une tendance qui n’est pas nouvelle, mais qui semble renforcée par la pandémie.
🧑💻 Bro Nation. Je vous parlais dans une édition précédente des abus de la startup nation. Récemment, c’est Travis Kalanick (ex CEO Uber) qui défraye la chronique, attaqué pour la culture toxique de sa nouvelle startup, accusée d’être un “temple de bros”
🍦 La fin des haricots. Un article (très) long sur la brutale chute de la marque de glaces Ample Hills, et les dangers de précipiter la croissance d’une startup avant d’avoir posé des fondations saines et un modèle économique solide.
Quand le Marketing s’invite en politique
Je me souviens comme si c’était hier du mardi 8 novembre 2016, jour de l’élection de Donald Trump. Surprise générale, le monde étant resté convaincu jusqu’à la dernière minute que la campagne de Trump n’était qu’une vaste blague, et qu’il n’avait aucune chance d’être élu.
Et aujourd’hui, avec le recul nécessaire, même s’il est avéré que les médias ont joué un rôle important de désinformation du public (affirmant pendant toute la campagne que Trump était une cause perdue, alors que son électorat était en réalité solide et organisé), la victoire de Trump est aussi en grande partie due à sa maîtrise des codes du Marketing.
Mais Trump n’est pas le seul à s’être approprié les nouvelles techniques de prospection et d’influence digitale. Ces dernières années, c’est une grande partie de la sphère politique qui s’est mise à la page, et s’est outillée de nouvelles armes redoutables. Redoutables de par leur efficacité, mais aussi de par l’impact (souvent négatif) qu’elles ont sur la société sur le long terme.
Après avoir discuté dans le dernier épisode du podcast avec Alexandre Galatioto (filez en bas de la newsletter pour l’écouter !), j’ai eu envie de me pencher sur la frontière toujours plus poreuse entre politique, marketing et influence : je vous livre mes réflexions dans l’article de la semaine. N’hésitez pas à y réagir et me partager votre ressenti !
La politique s’approprie les codes du marketing & du digital
La maîtrise des analytics pour mieux comprendre l’opinion publique
Il y a à peine quelques décennies, les campagnes électorales consistaient à aller faire du porte à porte à l’aveugle et à convaincre les électeurs, un par un. Les données à disposition des partis étaient plutôt maigres : nom, âge, adresse, éventuelle affiliation politique… Pas facile de segmenter sur une base aussi floue !
Aujourd’hui, par le biais des réseaux sociaux notamment, la psychologie comportementale s’invite dans les campagnes électorales, comme l’a illustré il y a quelques années le scandale de Cambridge Analytica. L’accès à une manne presque infinie de données, mises à jour en temps réel, propulse la capacité des hommes politiques à segmenter leurs audiences, à mieux comprendre les mécanismes décisionnels de leurs poches électorales cibles, mais aussi (et c’est le plus important), à adapter leur message et leur promesse en fonction des données collectées.
Le problème de cette pratique, c’est qu’elle encourage la démagogie. Si les partis politiques, à l’image des marques, adaptent leur promesse et leurs messages aux considérations de certains sous-groupes de consommateurs et de citoyens (leurs personas), quelle est la part de vrai et de réalité dans les programmes et les engagements pris durant les campagnes ?
Cette tendance, qui est de plus en plus présente, est aussi amplifiée par les réseaux sociaux.
Les réseaux sociaux comme nouvelle agora
Les réseaux sociaux, donc, sont devenus l’un des grands moteurs des campagnes électorales et une véritable tribune pour les politiciens.
Un exemple de profil passionnant, qui a su tirer parti des nouveaux formats de communication digitale pour monter en flèche en 2018, n’est autre que la fameuse Alexandria Ocasio-Cortez (AOC). Pour cette jeune députée, les réseaux sociaux sont intelligent utilisés pour distiller auprès de son audience :
un storytelling aux petits oignons (AOC, c’est l’American Dream par excellence : originaire de la classe moyenne dans le Bronx, ambitieuse et résolue, elle a cumulé les petits jobs avant de percer en politique et reste très proche de ses racines)
un message communautaire fort (appartenance clairement proclamée à la communauté latino)
Les réseaux sont utilisés pour servir plusieurs types d’objectifs :
1/ informer ;
2/ toucher des publics jeunes ;
3/ faire passer des messages forts.
1/ Les réseaux sociaux pour informer
AOC est la reine du storytelling. Elle fait partie (à mon humble avis) des personnalités publiques qui ont réussi à trouver l’équilibre entre spontanéité et puissance du discours. En automne dernier, elle s’est prêtée au jeu de dévoiler sa routine de maquillage pour Vogue. Mais au-delà de parler cosmétiques, AOC a su, en quelques minutes à peine, faire prendre de la hauteur à son discours, en abordant des sujets intenses comme la féminité, l’estime de soi, la lutte contre le patriarcat… Le tout, en expliquant comment mettre du rouge à lèvres et de la crème solaire. Je vous laisse sur un extrait de la vidéo :
So one of the reasons why I even started wearing a red lip was when I was running in my primary election the first time and outside of our community, no one knew who I was and we were out, we were knocking doors, we were making sure that people were being heard.
And one of the things that I had realized is that, you know, when you're always kind of running around, sometimes the best way to really look put together is a bold lip.
And of course, being Latina, this is like very much our culture where we come from, I will wear a red lip when I want confidence, when I need a boost of confidence.
Our culture is so predicated on diminishing women, right? And kind of preying on our self esteem.
And so it's quite a radical, my opinion, it's quite a radical act and it's almost like a mini protest to love yourself in a society that's always trying to tell you, you're not the right way, you're not the right color, you're not the right, you know, whatever it is.
Un message fort, délivré sous un format léger.
2/ Les réseaux sociaux pour toucher des publics jeunes
On a entre autres vu AOC faire un passage sans faute sur Twitch :
Entre deux parties, AOC a profité de son passage sur Twitch pour partager les points phares de son programme avec une audience de 360,000+ jeunes gamers.
3/ Les réseaux sociaux pour viraliser des messages forts
Vous l’avez peut-être vue l’an dernier, puisque cette vidéo a fait un énorme buzz : le recadrage en bonne et due forme du député Yoho, par AOC, après que ce dernier l’ait publiquement traitée de “fucking bitch” :
On en dira ce qu’on veut, AOC maîtrise les mots comme personne et elle clashe avec style. D’ailleurs la structure de son discours est très subtile :
elle commence par lister des faits, à contextualiser le conflit et l’origine de l’insulte. Elle se positionne en victime qui a réagi de manière rationnelle et mature ;
puis elle rappelle son statut de députée et BAM, elle utilise la technique du transfer pour élargir l’impact et l’importance de l’insulte (ce n’est pas uniquement AOC qui a été insultée, c’est l’ensemble des femmes en politiques qui ont vécu ce genre de moment à un moment de leur carrière) ;
puis elle passe à l’attaque et tout son discours bascule dans l’affect :
le débat est élargi aux abus faits aux femmes et la nécessité de donner l’exemple pour les futures générations, ce qui la positionne comme la défenseur des droits des femmes
sa voix est tremblante quand elle parle de l’éducation reçue de ses parents
elle termine en envolée lyrique en assénant une leçon de morale à son adversaire
Une structure de discours qui monte en intensité jusqu’à atteindre un point culminant et gagner l’audience à sa cause, avant de faire passer un message clé.
Les réseaux sociaux pour désinformer
Mais les réseaux sociaux ne sont pas toujours utilisés à bon escient. Après Alexandria Ocasio-Cortez, j’avais envie de me pencher sur l’exemple de Trump (qui, malgré tout ce qu’on en dira, avait quand même un staff ultra talentueux)? Attention, entre les deux personnages, on est vraiment sur deux salles, deux ambiances. Pour Trump, Twitter et Facebook ont été de vrais game changers, influençant le cours de l’élection présidentielle de 2016. Sur ses 12 années d’utilisation de Twitter (avant d’être définitivement banni), l’ancien président aurait tweeté plus de 57,000 fois, dont 25,000 durant son mandat.
Et comment Trump a-t-il utilisé Twitter à son avantage ? Je vous le donne en mille : le réseau social a été utilisé pour créer une réalité parallèle pour ses supporters, mais aussi pour distraire les grands médias de certaines de ses actions, effectuées en sous-marin.
Ou, comme l’explique Seth Meyers :
Et pour ceux que ça intéresse, une belle carte interactive de tous les tweets de Trump par ici.
Et ainsi, les réseaux sociaux peuvent être instrumentalisés pour appuyer certaines idées, certaines opinions. Si vous n’avez pas encore regardé l’excellent documentaire Derrière nos écrans de fumée sur Netflix, je vous encourage à le faire ! On fermera les yeux sur la diversité du casting et sur la personnification hasardeuse de l’IA de Facebook/Instagram (3 types un peu creepy installés derrière un dashboard plein de trucs qui clignotent, et qui n’ont qu’un objectif : manipuler le cerveau de leur utilisateur).
Donc, outre la scénographie, le message du documentaire alerte : les réseaux sociaux polarisent et amplifient les opinions individuelles. Appuyés par l’analyse des données comportementales de chaque utilisateur, certains messages commerciaux, certaines idées et certaines opinions, deviennent tout simplement la norme. Plus on fréquente certains profils d’internautes, et on consomme certains types de contenus, et plus on se retrouve enfermé dans une caisse de résonance de ses idées.
Je vous en parlais déjà du point de vue Marketing avec le phénomène des echo chambers et des filter bubbles. Pour ce qui est du marketing politique, ça devient encore plus grave, car les réseaux sociaux peuvent rapidement se transformer en bastions de la désinformation.
Des groupes WhatsApp conspirationnistes au forum 4chan, en passant par l’application Parler, bienvenue dans l’ère des fake news...
La rumeur et les fake news pour semer la confusion et attaquer les opposants
#Pizzagate, ça vous dit quelque chose ? En 2016, peu avant le dénouement de l’élection présidentielle américaine, une campagne de propagande accusait une pizzeria de Washington de servir de couverture à un réseau pédophile, dirigé par des proches d’Hillary Clinton. Une rumeur initiée sur Reddit et 4chan, qui a rapidement été prise au sérieux par certains, à tel point qu’un homme armé a débarqué dans ladite pizzeria, exigeant de mener lui-même l’enquête et convaincu d’avoir exposé un cercle de pédophilie. Bien sûr, peu ont été ceux qui ont accordé du crédit à cette mini campagne complètement burlesque, mais l’acte est tout de même révélateur des stratégies de diffamation systématiquement mises en place dans les élections désormais.
Avance rapide, 4 ans plus tard. En 2020, vous avez forcément vu passer l’un de ces messages sur vos réseaux :
“Les ondes 5G affaiblissent le système immunitaire et rendent les gens plus fragiles contre les virus”
“Bill Gates a orchestré la crise sanitaire du coronavirus”
“Le covid a été créé dans un laboratoire pour être utilisé comme une arme biochimique par les américains”
L’origine de ces éléments ? Une campagne de désinformation qui aurait été orchestrée par la Russie, pour affaiblir l’influence des US. Ici, le storytelling accuse, il est direct. Mais en ce qui concerne la propagande politique, la Russie n’en est pas à son coup d’essai. La vidéo ci-dessous décrit l’infiltration d’une Russian Troll Factory (oui, vous avez bien lu), à travers le témoignage d’une ancienne employée (les trolls russes étant mieux payés que les docteurs et les enseignants, nous dit-on dans la vidéo).
La troll factory est définie comme un groupe organisé de trolls, payés pour diffuser de manière massive des informations partielles, partiales ou totalement mensongères sur les réseaux sociaux. Leur but est la déstabilisation géopolitique ou politique, le lobbying ou la propagande politique.
Chaque troll endosse une fausse identité, et a pour mission de commenter des contenus et des posts en ligne à longueur de journée, pour faire passer subtilement de la propagande politique et influencer l’opinion publique en Russie (ou dans d’autres pays en période d’élections par exemple).
Et l’existence même de ce type de structure pose la question de la responsabilité des réseaux sociaux dans la radicalisation de l’opinion publique. À force de véhiculer des campagnes de désinformation et des informations sorties de leur contexte, ils contribuent à abîmer le sens critique des internautes. Nous nous retrouvons tous à gober n’importe quoi, juste parce qu’un contenu est relayé par notre réseau. Et nous ne faisons plus vraiment l’effort de vérifier la véracité de l’information dont on nous bourre au quotidien.
Le déclin de la caste politique au profit des marques : solution ou danger ?
Le tableau n’est donc pas reluisant du côté de la sphère politique. Lancés dans une guerre où tous les coups sont permis, certains ont inauguré le début d’une nouvelle ère. Et je me fais peut-être des nœuds au cerveau toute seule, mais il me semble que toutes ces tactiques Marketing qui sont désormais de mise, glorifient l’individu (le politicien), et non pas son message ou ses valeurs.
À tel point que, par exemple, la frontière entre showbiz et sphère politique est de plus en plus poreuse :
Mais la glorification du leader n’est pas la raison d’être de l’engagement politique. Quand la cause disparaît au profit de l’individu, de son mandat et de son privilège, le système s’érode et la confiance du public se perd.
Et tandis que certains s’embourbent dans d’obscurs scandales de homard, de comptes cachés en Suisse ou de Penelopegate, la voie s’ouvre pour un nouveau type d’acteurs politiques. J’ai nommé, les entreprises.
Vous avez bien lu, j’ai dit les entreprises. Mais les entreprises peuvent-elles s’engager et porter une cause politique ? C’est en tout cas ce que dit la Loi Pacte du 22 mai 2019, qui donne la possibilité aux entreprises d’intégrer dans leurs statuts une « raison d’être ».
Certains y voient simplement un rebranding des politiques RSE, d’autres y voient le début d’une nouvelle ère : celle de l’entreprise à impact comme moteur à part entière de la vie politique des pays dans lesquels elle est implantée.
Alors, dans 10 ans, Yuka et Patagonia siègeront-ils à l’Assemblée Nationale ? Est-ce souhaitable ? L’avenir nous le dira. Mais quoi qu’il en soit, il est inévitable que les univers du marketing et de la politique se rapprochent de plus en plus - pour le meilleur, comme pour le pire… 👀
La semaine, je suis partie à la rencontre d’Alexandre Galatioto, le créateur de la bande dessinée Le Monde Brûle. Une création hybride, publiée exclusivement sur Instagram, et suivie par plus de 23,000 personnes. Ses dessins distraient, mais posent aussi des questions fortes sur l’avenir de notre société, et les décisions que nous prenons au quotidien.
Alexandre m’a tout de suite interpellée par sa manière d’utiliser ses dessins et les personnages de sa BD pour véhiculer des idées et un engagement fort. À travers les histoires qu’il raconte, il ouvre un dialogue avec son audience et vulgarise des concepts philosophiques, politiques… Un travail incroyable que je suis depuis plus d’un an que j’ai plaisir à vous partager aujourd’hui !
Alors, ça vous a plu ?
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D’ici-là, je vous donne rdv dans deux semaines pour la prochaine édition !